Alors que les rapports de force s’inversent dans le monde du travail, comment mobiliser les publics très éloignés de l’emploi ?
La dernière activité d’apprentissage entre pairs (PLA) du programme PRALINE s’est tenue les 2 et 3 octobre 23 à Zagreb, Croatie. Cela a donné lieu à des interventions présentant la politique de l’État croate en matière de formation professionnelle, le rayon d’intervention des régions mais également de la chambre des métiers ou bien des initiatives d’institutions plus locales ou régionales.
Mais au-delà de l’intérêt de chaque présentation sur le cas Croate, il nous semble opportun de tenter de dégager quelques traits communs que l’on retrouve désormais dans l’ensemble des pays des partenaires européens du programme (et au-delà ?).
En effet, entre le début du programme PRALINE en pleine pandémie et aujourd’hui, la situation sur le marché du travail a profondément évolué. Désormais, les politiques publiques en matière de formation professionnelle sont questionnées et tentent de prendre en compte ces évolutions. C’est ce que à l’aune du contexte français, les différents PLA nous montrent.
Ainsi, la mobilisation des publics sur un marché du travail qui tend de plus en plus vers le plein emploi a un impact sur la manière d’appréhender la formation et l’accès à l’emploi. Dans ce contexte, la prise en compte des attentes de la personne à accompagner (plutôt qu’à former) nous semble devenir cruciale.
DES RAPPORTS DE FORCES QUI S’INVERSENT POUR CEUX QUI SONT « EMPLOYABLES » ; DES DIFFICULTES ACCRUES POUR CELLES QUI SONT TROP ELOIGNEES DE L’EMPLOI
Depuis plusieurs décennies, les questions d’accès à l’emploi se fondaient surtout sur la notion d’employabilité. En accompagnant, par la formation (notamment), le développement des compétences professionnelles (hard skills) cela permettait d’accéder au sésame de l’emploi.
Aujourd’hui, la donne a changé car les salariés qui restent sans emploi nécessitent un accompagnement systémique et multidimensionnel qui va bien au-delà des actions de formation purement professionnalisantes.
De quoi interroger la place des formateurs, de la formation et de ses modalités car il y a un risque, pour que les organismes de formation (et les financeurs) se centrent exclusivement sur l’emploi alors que le besoin premier est d’accompagner les personnes pour leur « redonner du pouvoir d’agir » sur ce qui est utile et mobilisateur dans leur propre situation.
C’est pourquoi, il nous semble que ce contexte nouveau nous invite à réfléchir à des ingénieries de formation qui intègrent les personnes comme contributrices de leur parcours (partie prenante) et qui s’appuie sur leur expérience et ce qu’elles sont.
PROPOSITION POUR UNE INGENIERIE DE FORMATION QUI PRIVILEGIE 6 DIMENSIONS INTERACTIVES :
Une des contributions du programme PRALINE ne pourrait-elle pas être d’encourager les États membres à construire des dispositifs de formation qui intègrent et font vivre les dimensions suivantes :
1- La considération de chaque personne comme capable :
Les personnes sont capables d’agir et d’interagir, elles ont des potentialités que l’expérience peut révéler. Elles ne sont pas « vides » de ressources ou d’expérience.
2- Valoriser l’expérience comme levier :
L’appropriation des apprentissages se fait par la mise en situation des expériences. L’expérience permet de transformer les ressources en actions orientées vers un but et contribue à la motivation.
3- Avec des conditions de l’expérience favorables :
Toute expérience n’est pas nécessairement une expérience d’apprentissage : certaines conditions sont nécessaires : sens et intérêt des activités proposées, accessibilité, complexité acceptable, ressources adéquates, environnement humain porteur et facilitateur (capacitant), ….
4- La réflexivité comme moyen d’ancrage :
L’expérimentation ne permet la structuration des apprentissages qu’à la condition d’un retour d’information : c’est la réflexivité qui est apprentissage. Revenir sur ce que l’on a fait, en tirer des enseignements, formaliser les principes et les tester à nouveau….
5- La coopération comme amplificateur ; favoriser la pairagogie :
Les apprentissages se font aussi dans un cadre collectif d’interactions qui amène chacun à écouter l’autre, à construire des arbitrages en situation, à s’enrichir de points de vue différents, à co-construire….
6- Et enfin un accompagnement et un soutien avant, pendant et après l’expérience.
Il s’agit de la qualité de la médiation humaine proposée tant dans le centre de formation que dans l’environnement de l’entreprise ou de la famille.
Durant ce PLA et sans doute parce qu’il s’agissait de la dernière session d’apprentissage entre partenaires du programme PRALINE, les différentes expériences présentées et les échanges entre partenaires qui ont suivi nous ont amené à faire le « pas de côté » et d’ébaucher cette contribution à ce que pourrait être des organismes de formation apprenants.
Quoiqu’’il en soit, il s’agit d’une évolution qui ne pourra faire l’économie d’une réflexion sur la professionnalisation des formateurs/accompagnateurs.
Ph.RISTORD-UNMFR-Octobre 2023